Très fréquemment en consultation les mamans m’indiquent réaliser un régime d’éviction sans PLV. Parce que bébé régurgite, qu'on entend le lait remonter, qu'il ne dort que dans les bras, ou qu’il a des selles vertes, ou parce qu’il pleure beaucoup. Parfois ce régime est mis en place sans avis médical et pour une durée prolongée.
Ces régimes très contraignants peuvent avoir un impact sur la santé mentale des mères, surtout après les contraintes alimentaires dues à la grossesse (durant laquelle un régime pour diabète gestationnel a aussi peut être été mis en place) et entrainer un sevrage précoce.
Des recommandations européennes ont été émises en 2024 (1), et une récente étude parue en juillet 2024 aborde le thème du régime d'éviction aux PLV chez la mère allaitante (2)
Rappels sur la réaction allergique
Une réaction allergique correspond à une réaction inappropriée du système immunitaire face à un élément déclencheur (protéine allergène) considéré comme un “étranger” au soi, alors qu’il devrait être toléré.
La réaction immunitaire déclenchée peut être de 3 types:
réaction Ig E médiée: dans ce cas la réaction allergique sera rapide (immédiate ou dans les heures suivant l’ingestion) avec l’apparition de symptômes (ex: urticaire, eczema, vomissements, diarrhée) parfois très graves (anaphylaxie: trouble respiratoire et oedème du larynx, tachycardie, collapsus ) et nécessitant une injection d’épinéphrine (3)
La probabilité d’une réaction IgE médiée chez l’enfant allaité est estimée à moins de 0.1%
réaction non Ig E médiée: dans ce cas la réaction n'apparaît pas immédiatement mais entre 6 et 72 h après l’ingestion, et les signes sont généralement d’ordre digestif : irritabilité, diarrhée, vomissements, selles sanguinolentes , dermatite atopique (et dans de rares cas extremes eczéma severe et entéropathie (1,2)
mixte: IgE médiée et Non IgE médiée
Dans le cas des bébés allaités, il arrive qu’ils réagissent à une protéine contenue dans le lait maternel, l’allergène le plus fréquent est la protéine de lait de vache PLV. D’autres allergènes peuvent être concernés: soja, oeufs, crustacés, cacahuètes, poisson, blé (4) (ces régimes ne sont d’ailleurs jamais entrepris spontanément par les mères alors que la prévalence de ces allergies n’est pas nulle.)
Transfert des Protéines de lait de vache dans le lait humain (2)
Les concentrations en allergènes ( betalactoglobuline du lait, caséine du lait , ovalbumine et ovomucoide de l’œuf, cacahuète ) dans le lait humain sont très faibles aussi leur possible impact allergique ou dans la prévention de l’atopie fait l’objet de controverse.
Avant d’arriver dans le lait, ces protéines ont été digérées dans l’intestin maternel puis parviennent dans la glande mammaire pour créer des peptides que le corps de bébé va tolérer.
La concentration en bêta-lactoglobuline dans le lait maternel varie beaucoup entre les femmes pour une même quantité de lait ingérée, certainement en fonction de leur statut allergique, de l’absorption intestinale et on retrouve des plv dans le lait maternel jusqu’à 10j après l’ingestion de lait.
Il semble y avoir une grande variabilité inter et intra-individuelle pour la sécrétion d’allergènes dans le lait maternel, et dans certains cas aucun allergène n’est retrouvé après ingestion.
Les concentrations retrouvées dans le lait maternel sont minimes et une étude indique que dans 99% des cas ces concentrations ne sont pas suffisantes pour déclencher une réaction allergique. (1-2)
Incidence: on estime que 0.5 % des bébés allaités sont allergiques aux PLV contre 1 % des bébés non allaités (1). Du fait du moindre contenu du lait maternel en PLV par rapport au lait industriel, les réactions graves sont rares.
Quels sont les facteurs de risques et signes d’une allergie aux PLV chez l’enfant ?
Facteurs de risque :
il y a souvent une histoire familiale d’allergie (asthme, eczéma, rhume des foins).
des facteurs environnementaux (pollution, antibiothérapie, usage de médicaments contre le reflux IPP) peuvent également entrer en jeu (1).
Signes observés en cas d’allergie aux PLV (1,2,5-8, 10)
réactions cutanées: rash cutané, eczema , urticaire, gonflement autour des lèvres ou des yeux
rhinite, otite , toux chronique
problèmes digestifs: diarrhées, constipation, coliques, douleurs, vomissements,
irritation, pleurs , “coliques “
A noter: Les selles vertes ou avec du mucus ne sont pas considérées comme pathologiques chez un enfant qui va bien par ailleurs (1).
Cas particuliers d’allergie:
La proctocolite induite par les protéines alimentaires s’observe surtout chez l’enfant allaité: c’est un cas où on observe du sang dans les selles. Il s’agit d’une inflammation du côlon en contact avec les protéines alimentaires, qui n’est pas IgE médiée. Dans les cas modérés, les experts européens (1) ne recommandent pas un régime d’éviction chez la mère mais une observation.
Si un régime est entrepris, il devrait durer 2-4 semaines avant un essai de réintroduction .
Dans les cas sévères de sang dans les selles sur des durées prolongées, un régime d’éviction chez la mère est possible. Les auteurs indiquent qu’il n’y a pas d’étude sur les allergies croisées au lait de brebis et chèvre, mais il semble logique d’éliminer tous les laits animaux.
Les selles contenant du sang pourraient être également en lien avec une Proctolite infantile non allergique bénigne (12) et jusqu'à 20 % des nourrissons allaités présentent une résolution spontanée de symptômes, tels qu'un saignement rectal, sans changer le régime alimentaire de leur mère.
le syndrome d’enterocolite induite par les protéines alimentaires (SEIPA) est une allergie alimentaire non IgE médiée et le lait de vache est l’un des allergènes les plus importants. Elle se manifeste par des signes rapides (1-4h après ingestion) avec vomissements importants associés à une pâleur, parfois une diarrhée et une léthargie. C’est un cas très rare chez l’enfant allaité.
l’oesophagite à éosinophiles est également liée à l’allergie aux PLV : elle se manifeste par un reflux , une dysphagie et les symptômes régressent avec l’éviction des PLV. (voir notre article sur le RGO)
Les spécialistes européens (1) indiquent qu’un surdiagnostic des allergies aux PLV est fréquent.
Ce surdiagnostic est certainement favorisé par le marketing des compagnies de lait industriel (dénoncé récemment en 2023 par l'OMS) et déjà en 2018 dans le British Medical Journal. (9)
Une autre cause possible pour les signes évoqués sont les troubles digestifs fonctionnels, fréquents (25%) chez les nourrissons par ailleurs bien portants, et qui engendrent constipation, régurgitations, pleurs de détresse et “coliques”. Ces symptômes peu spécifiques peuvent amener à un régime d’éviction, qui peut parfois amener une amélioration (effet placebo, diminution du lactose, évolution naturelle) et induire des faux-diagnostics.(1) Le plus souvent, c’est une explication bienvenue plutôt simple face un problème complexe.
En pratique clinique de consultante en lactation
en plus des éléments précédents décrits par les parents, on pourra observer:
une prise de poids lente,ou un bébé faisant des tétées très très fréquentes,
un bébé diagnostiqué pour un reflux gastro-oesophagien en raison des pleurs intenses et régurgitations
un bébé agité au sein, qui prend,lâche le mamelon ou le pince (réaction réflexe car douleurs digestives), refuse le sein, ou se met à pleurer en milieu de tétée alors qu’il a l’air d’avoir encore faim .
Dans le cadre de la consultation d’allaitement il y a d'autres causes possibles pour les signes évoqués en cas d'allergie:
- les pleurs durant ou après la tétée, les selles liquides, régurgitations peuvent être par exemple vus dans le cadre d'une forte lactation ,
- les pleurs de bébé peuvent avoir de nombreuses causes par ailleurs, notamment l'immaturité du système nerveux avant 4 mois, le besoin de proximité intense du nourrisson, la faim et des tétées en nombre insuffisantes (notamment si on a indiqué à la mère que bébé "doit terminer le sein pour avoir le lait gras" ou "doit espacer ces tétées de 2 h pour digérer") (voir cet article sur le RGO)
Diagnostic et prise en charge
Diagnostic:
Un diagnostic devrait être fait par un médecin. Un auto-diagnostic risque d’induire des régimes d'éviction prolongés avec des risques de carence nutritionnelle
Prise en charge
un régime d’éviction sera proposé à la mère allaitante par un professionnel de l’alimentation à savoir une diététicienne ou un médecin nutritionniste avec une observation des symptômes puis une réintroduction de l’allergène après 2 à 4 semaines (1) pour confirmer le diagnostic. En effet, il s’agit d’un soin diététique, aussi tout autre professionnel qui suggère une éviction fait un soin hors de son domaine de compétence.
A noter: Les auteurs de l’article sur les régimes d’éviction (2) indiquent qu’il est très peu probable que les aliments mentionnés comme “traces de “ sur les emballages puissent déclencher une réaction allergique
si la maman est en allaitement mixte, un lait artificiel spécial allergie sera prescrit.
Dans le cas d’un régime d’éviction prolongé, une supplémentation en calcium et en vitamine D est recommandée, et une supplémentation en iode et vit B12 à considérer.(1,2)
A nouveau, cela nécessite un suivi avec un professionnel de l’alimentation.
Les besoins en iode sont augmentés durant l'allaitement, et une des sources d'iode est le lait d'animaux. En France on recommande un apport de 200 microgrammes par jour d'iode chez la femme allaitante. L'iode contribue à la formation des hormones thyroïdiennes (11). Les principales sources alimentaires d’iode sont les algues à des degrés extrêmement variables, le sel iodé qui ne peut constituer la seule source, les poissons marins, les mollusques et les crustacés, ainsi que le jaune d’œuf et les produits laitiers en fonction de l’alimentation des animaux. Une carence en iode pourrait également expliquer un manque d'appétit du bébé et une prise de poids lente .
En conclusion:
Les régimes d'éviction des PLV chez la mère allaitante ne sont pas anodins et peuvent entraîner des carences nutritionnelles chez la mère et l’enfant, ainsi qu’un sevrage précoce. Ils sont contraignants, engendrent du stress et diminuent la qualité de vie. Ils diminuent la confiance de la mère dans son allaitement, avec des mères qui ont parfois l’impression ‘d’empoisonner leur bébé”.
Avant de mettre en place un régime d’éviction chez la mère allaitante , un diagnostic médical doit être réalisé, un suivi professionnel mis en place et une réintroduction des PLV doit être réalisée pour confirmer le diagnostic et éviter des régimes d'éviction prolongés inutiles.
Une évaluation de l’allaitement par une consultante en lactation IBCLC peut aider à éliminer d’autres causes pour les signes peu spécifiques de l’allergie aux PLV.
Disclaimer: Cet article a pour but de fournir des informations générales et ne se substitue en aucun cas à un avis médical. Il est essentiel de consulter un professionnel de santé pour toute question relative à votre situation personnelle.
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Bibliographie
Vandenplas Y, Broekaert I, Domellöf M, Indrio F, Lapillonne A, Pienar C, Ribes-Koninckx C, Shamir R, Szajewska H, Thapar N, Thomassen RA, Verduci E, West C. An ESPGHAN Position Paper on the Diagnosis, Management, and Prevention of Cow's Milk Allergy. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2024 Feb;78(2):386-413. doi: 10.1097/MPG.0000000000003897. PMID: 38374567.
Gelsomino, M.; Liotti, L.; Barni, S.; Mori, F.; Giovannini, M.; Mastrorilli, C.; Pecoraro, L.; Saretta, F.; Castagnoli, R.; Arasi, S.; et al. Elimination Diets in Lactating Mothers of Infants with Food Allergy. Nutrients2024,16,2317. https:// doi.org/10.3390/nu16142317
Breastfeeding Network:Cows’ Milk Protein Allergy (CMPA) and Breastfeeding
NHS :What should I do if I think my baby is allergic or intolerant to cows' milk?
Carol Smyth. Why infant reflux matters.
BMJ. Overdiagnosis and industry influence: how cow’s milk protein allergy is extending the reach of infant formula manufacturers 2018
Protocole de l'Academy of Breastfeeding Medicine 24 . 2011. Allergic Proctocolitis in the Exclusively Breastfed Infant 10
CDC. Iodine. Consulté le 07/08/2024
Gelsomino M, Sinatti D, Miceli Sopo S. Non-allergic benign infantile proctocolitis: a neglected nosographic entity. BMJ Case Rep. 2021 Oct 19;14(10):e244918. doi: 10.1136/bcr-2021-244918. PMID: 34667039; PMCID: PM
Merci pour ces infos ! Très intéressant.